guères

guères
guère ou (vx ou poét.) guères [gɛʀ] adv.
ÉTYM. 1080, guaires; d'un francique waigaro « beaucoup ».
———
I (Attesté XIIe). Vx. Beaucoup, très.REM. L'emploi de guère sans négation, déjà rare au XVIe s., est complètement sorti de l'usage, dès le XVIIe s., sauf dans un cas d'ellipse unique (→ ci-dessous, III.).
1 À la vérité, en toutes choses, si nature ne prête un peu, il est malaisé que l'art et l'industrie aillent guiere avant.
Montaigne, Essais, I, XX.
———
II (1080). Mod. (mais légèrement marqué : régional, style soutenu…). || Ne… guère : pas beaucoup, pas très. Médiocrement, peu; → Pas autrement, pas trop.
REM. 1. « L'adverbe guère et la négation ne ont contracté une alliance si invétérée, si étroite que, depuis le XVIIe s., aucun supplément négatif (tel que pas, point) ne s'immisce dans leur union (…) Guère doit à son association fréquente avec ne de paraître négatif (pas beaucoup), alors qu'en réalité c'est un adverbe positif (en grande quantité) » G. et R. Le Bidois, la Syntaxe du français moderne.
2. Ne… guère a un sens restrictif ou limitatif qui en fait (comme de « pas beaucoup, pas très ») l'expression atténuée de « peu ».
2 Peu est précis, guère vague. Peu convient quand il est question de choses rigoureusement appréciables sous le rapport du nombre, de la quantité, du degré; guère dans tous les autres cas (…) Peu est absolu, guère relatif. Il y a peu d'hommes discrets; il n'y a guère d'hommes discrets qui sachent se taire jusqu'à la mort.
Lafaye, Dict. des synonymes, Peu, guère.
3 Le premier travail (dans la maxime) est la généralisation. Toujours ou jamais est le langage de la maxime : point ou peu, le moins possible, de souvent, de parfois, de presque ou de guère. Point de je ou tel, ou quelques-uns; mais nous, l'homme, on, tout le monde.
Gustave Lanson, l'Art de la prose, p. 134.
1 Ne… guère devant un adjectif. || Vous n'êtes guère raisonnable. || Il ne fait guère chaud. || Les ardeurs (cit. 23) de jeunesse ne sont guère durables. || Cet ouvrage n'est guère avancé (cit. 70). || Il n'est guère naturel de… (inf.), que… (→ Bourgeois, cit. 5). || Événements qui ne sont guère soumis au calcul (→ Calculer, cit. 4). || Ces jeunes chefs ne sont guère aptes à commander (cit. 37).
4 Ah ! je l'aime bien, cette grande bête, mais il n'est guère raisonnable, vrai ! (…) Est-ce qu'il n'est pas jaloux !
Zola, la Terre, V, III.
5 C'est au sein de pareils villages qu'il fallait chercher des vieillards durables, plutôt des vieillardes car — selon le mot désabusé d'une de celles-ci, — « ce n'est guère solide, un homme ».
Colette, Belles saisons, p. 240.
6 Ce qu'il faut, dit Gertrude, c'est d'abord en parler à Madeleine, et la mettre avec nous à fond. Ça ne sera guère difficile (…)
M. Genevoix, Rroû, I, IX.
2 Ne… guère devant un adverbe. || Vous ne l'avez guère bien reçu.
7 (…) je ne vais guère loin chercher dans mon cœur pour y trouver de la douceur pour vous (…)
Mme de Sévigné, Lettres, 102, 16 avr. 1670.
3 Ne… guère devant un comparatif (d'adjectif ou d'adverbe). || Vous n'êtes guère plus avancé (cit. 72) qu'avant. || Ce défaut n'est guère moins excusable (cit. 1) qu'un autre.Ce petit mur n'a guère plus d'un mètre de haut (→ Épaulement, cit. 1). || Il ne va guère mieux qu'hier.
8 Cependant la véritable mère de famille, loin d'être une femme du monde, n'est guère moins recluse dans sa maison que la religieuse dans son cloître.
Rousseau, Émile, V.
9 Pendant longtemps le roi n'aura guère plus d'importance qu'un duc ou un comte ordinaire.
Michelet, Hist. de France, III, H. Capet.
10 Il est juste de dire que la plus vieille de nos jeunes premières n'a guère plus de soixante ans (…)
Th. Gautier, Mlle de Maupin, Préface, p. 37.
11 Mais je ne veux pas vous cacher que cela me fera beaucoup de peine et que je n'en ai guère plus d'envie que de me noyer.
G. Sand, la Mare au diable, III.
12 (…) les jambes ne vont plus, les bras ne sont guère meilleurs (…)
Zola, la Terre, I, II.
4 Ne… guère avec un verbe. || On ne s'attendait (cit. 103) guère à la voir. || Cela ne se dit guère (→ Assaisonnement, cit. 5). || Personne, besogne qui ne plaît guère (→ Aussi, cit. 63; escamotage, cit. 3). || Nous ne savons guère ce qu'est au juste la beauté (cit. 1). || Ce n'est guère votre fait (cit. 13), de votre ressort, dans vos habitudes. || Je n'aime guère ce quartier. || Cette robe ne lui va guère (→ aussi Accorder, cit. 28; affliger, cit. 14; assurer, cit. 80; attention, cit. 22; changement, cit. 7; chemin, cit. 31; épargner, cit. 29 et 31; estimer, cit. 18; exporter, cit. 2).
13 Au moins, dites-leur bien que je ne les crains guère (…)
Racine, les Plaideurs, II, 3.
14 (…) quand on a le plaisir de se perdre dans l'immensité, on ne se soucie guère de ce qui se passe dans les rues de Paris.
Voltaire, Lettre à Mme du Deffand, 2807, 19 févr. 1766.
15 Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère (…)
Baudelaire, les Fleurs du mal, Spleen et idéal, VIII.
(Durée). Pas longtemps. || La paix ne dura guère (Académie). || Tu ne tarderas guère (→ Aider, cit. 1).Vx. || Il n'y a guère que… : il n'y a pas longtemps que.
16 Amitiés, comme on sait, qui ne dureront guère, la carrière du critique-né ne pouvant s'accorder longtemps avec les amitiés particulières, toutes vouées à de plus ou moins fatales ruptures.
Émile Henriot, les Romantiques, p. 234.
(Fréquence). Pas souvent, presque jamais. Rarement. || Il ne vient guère nous voir. || On ne voit guère de chef-d'œuvre d'esprit (cit. 50) qui soit l'œuvre de plusieurs. || Je ne passe guère devant les boîtes des bouquinistes sans en tirer quelque bouquin. → aussi Ambition, cit. 4; attaquer, cit. 23; dépasser, cit. 7.
17 Et vêtu d'une robe, hélas ! qu'on nomme bière,
Robe d'hiver, robe d'été,
Que les morts ne dépouillent guère.
La Fontaine, Fables, VII, 11.
REM. 1. Ne… guère est employé absolument dans des tournures vieillies ou familières, pour désigner des choses (→ Dire, cit. 64). Je n'y vois guère, je n'entends guère. → Grand-chose (pas).
18 (…) en ses affaires
Il se trouve assez neuf et ne voit encor guères (…)
Molière, l'Étourdi, II, 2.
2. L'usage de guère, précédé d'une préposition, encore très vivant au XVIIe s., a complètement disparu de nos jours.
19 (…) Par ma foi, l'âge ne sert de guère (…)
Molière, l'École des maris, III, 5.
Loc. Vx. Il ne s'en faut de guère. — ☑ Littér. Il ne s'en faut guère : il s'en faut de peu, il ne manque pas grand-chose. || Il ne s'en est guère fallu (Académie).
5 Ne… guère devant un nom qu'il détermine. || Il n'y a guère de gens qui… (→ Âge, cit. 7; aigre, cit. 13). || Je n'ai guère de courage (cit. 5). || Il ne boit guère de vin (→ aussi Avis, cit. 1; embêter, cit. 3; épithète, cit. 3; étoile, cit. 18).
REM. « L'unité linguistique formée par ne… guère et son complément ne peut être ni sujet ni objet secondaire. Le français n'admet pas une phrase comme : Guère de gens ne sont sincères. Et l'on n'écrirait plus, comme le faisait Pascal : “Il ne servira plus à guère de gens” (Prov. 4). Mais si l'on peut dire : Il n'est guère venu de touristes, ou (mais moins bien) : Il n'est venu guère de touristes, c'est qu'en réalité le sujet dans ce tour, c'est le pronom il; guère de touristes n'est là que le complément de il, son “explicitation” » (G. et R. Le Bidois, Syntaxe du franç. moderne, p. 604).
20 Il n'y avait guères de jours qu'il ne bombardât ainsi quelqu'un.
Saint-Simon, Mémoires, II, XLIV.
21 Il n'est guère de passion sans lutte.
Camus, le Mythe de Sisyphe, p. 101.
6 (XVIIe). Construit avec ne… plus. || Un vieux médecin qui n'exerce (cit. 38) plus guère. || Ce mot n'est plus guère employé (→ Cavée, cit. 1).
7 Construit avec ne… que, au sens de « presque, seulement, si ce n'est ». || Il n'y a guère que vous qui puissiez faire ce travail. || Il n'y a guère que deux heures qu'elle est partie. || L'Empire romain des deux premiers siècles n'était guère autre chose qu'un État fédératif (→ Autonome, cit. 1). || On ne marche guère qu'en babouches (cit. 2) dans ce pays. || Les hommes ne se cachent (cit. 56) guère que pour mal agir (→ aussi Approcher, cit. 63; démonter, cit. 8; éventuel, cit. 3; exception, cit. 13; facile, cit. 13; faveur, cit. 31).
22 Être infatué de soi, et s'être fortement persuadé qu'on a beaucoup d'esprit, est un accident qui n'arrive guère qu'à celui qui n'en a point, ou qui en a peu.
La Bruyère, les Caractères, V, 11.
23 Vous ne cherchez que des vérités utiles, et vous n'avez guère trouvé, dites-vous, que d'inutiles erreurs.
Voltaire, Essai sur les mœurs, Introd.
———
III (Employé sans négation, au sens de « pas beaucoup », dans des tournures fortement elliptiques plus ou moins familières). || « Je vais vous verser du vin. — Guère, je vous prie » (Littré). || Aimez-vous cela ? — Guère (je ne l'aime guère). || Il doit avoir une trentaine d'années, guère plus. || Le voici de retour, guère plus riche qu'avant.
24 Oh ! tout de même (…) vous exagérez un peu (…) Guère, Hamond ! Ne protestez pas !
Colette, la Vagabonde, p. 95.
25 Haverkamp est amoureux de cette parfaite viande rouge (…) Le dessus grillé à grand feu, et qui enveloppe la pulpe comme la croûte d'un gâteau. Haverkamp mange cette chair, guère plus chaude, guère moins vivante que la sienne.
J. Romains, les Hommes de bonne volonté, t. IV, VI, p. 44.
CONTR. Beaucoup, très.
COMP. Naguère.
HOM. Guerre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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